DE L’ACTION COMBINEE DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA SOUS TRAITANCE
L’entreprise qui traite et valorise les déblais excavés de chantiers de travaux, doit-elle être désormais considérée comme un sous-traitant à l’égard du Maître d’Ouvrage ?
Depuis l’avènement de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, cette question n’a jamais été tranchée par la jurisprudence.
Elle est pourtant d’un intérêt pratique considérable à l’aune des obligations règlementaires qui incombent au Maitre d’Ouvrage, producteur de déchets, au titre de l’article L 541-2 du code de l’environnement, dont il n’est pas inutile de rappeler l’essence « Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d’une façon générale, à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets (…) ».
xxxx
Après un long débat judiciaire porté par notre cabinet depuis 2019 dans l’intérêt d’un de nos clients historiques exutoire final valorisant les déchets inertes, la Haute Cour vient de nous répondre positivement par un arrêt du 18 janvier 2024, inédit et publié au Bulletin (Cass. Civ 3eme, formation de section, 18 janvier 2024 n°22-20.995 sur CA PARIS 6 juillet 2022 RG n°19/22932).
L’affaire se présente classiquement.
Installation de Stockage de Déchets Inertes (ISDI), notre cliente traite et valorise par enfouissement des matériaux non polluants déchets de classe III. Son donneur d’ordre est une entreprise de terrassement qui lui a confié le traitement des terres excavées de plusieurs chantiers de travaux.
Malheureusement, cette entreprise est placée en liquidation judiciaire après avoir laissé à notre mandante de lourdes factures impayées tandis que les interventions de l’ISDI n’ont pas fait l’objet de l’agrément des Maîtres d’Ouvrages.
Notre cliente est donc privée du bénéfice de l’action directe que confère l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 aux sous-traitants.
Nous soutenons alors l’application de l’article 14-1 de ladite loi qui consacre l’action extracontractuelle du sous-traitant non agréé à l’encontre du Maître d’Ouvrage, lorsque ce dernier a connaissance de son intervention sur son chantier et sollicitons une indemnisation égale au montant des factures en souffrance.
Les Maîtres d’Ouvrage font fronde et cause commune contre l’application de ce dispositif.
Ils estiment d’abord que notre mandante serait un simple prestataire devant être considéré comme une déchetterie, dont les prestations ne sont pas éligibles à la qualification de sous-traitance.
Ils soutiennent au surplus, ne pas avoir eu connaissance de son intervention sur leur chantier.
La Cour d’appel de Paris valide notre argumentaire, puis la Cour de cassation le confirme.
La haute juridiction, visant l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975 et rappelant la règle selon laquelle le sous-traitant « exécute tout ou partie d’un contrat d’entreprise conclu entre le maître de l’Ouvrage et l’entrepreneur principal », affirme effectivement qu’une société « qui s’est vue confier une partie des tâches de démolition et de terrassement incombant à un sous-traitant, consistant en l’évacuation, le transport et le traitement des terres excavées, en mettant en œuvre des compétences techniques et logistiques complexes, de sorte que son intervention ne pouvait être réduite à la fourniture de bennes ou à l’évacuation en déchetterie, une cour d’appel peut en déduire que cette société a la qualité de sous-traitant de second rang ».
La messe est dite et c’est une première fois en cette matière.
La règle est posée avec précision et motivation, ce qui mérite d’être salué.
L’entreprise qui traite et valorise les déblais des chantiers de travaux est un sous-traitant.
La troisième chambre tire ensuite toute conséquence de cette qualification, de l’application de l’article 14.1 « Le manquement du maître de l’ouvrage qui, ayant eu connaissance de l’existence d’un sous-traitant sur un chantier, s’est abstenu de mettre en demeure l’entrepreneur principal de s’acquitter des obligations qui lui incombent en lui présentant le sous-traitant, fait perdre à celui-ci le bénéfice de l’action directe ».
Sur ce point, la Cour d’appel de Paris avait justement considéré que, compte-tenu des obligations des Maîtres d’ouvrage, de caractérisation et de traçabilité des déchets au visa de l’article L 541-2 du code de l’environnement, notamment par la tenue et la conservation de la fiche d’identification des déchets et des bordereaux de suivi de déchets.
Cette documentation règlementaire mentionne l’identité de l’exutoire finale qui reçoit et traite les déblais de sorte que l’intervention de cette ISDI ne pouvait pas être ignorée des Maîtres d’ouvrages.
La cour de cassation confirme que la condition de connaissance par la maitrise d’ouvrage, édictée par l’article 14.1, est remplie, ce qui conduit à considérer qu’elle le sera systématiquement en pareil cas en raison du caractère règlementaire (et donc obligatoire) de ladite documentation.
C’est le mérite de cette décision.
Par l’application combinée des dispositions relatives à la sous-traitance d’une part, et à la protection de l’environnement d’autre part, la cour de cassation consacre la qualification de sous-traitant de l’opérateur économique qui œuvre dans la filière de traitement et de valorisation des déchets du Maître d’ouvrage.
Mais surtout, elle lui ouvre l’accès à la protection ultime instituée par le mécanisme indemnitaire de l’article 14.1 de la loi du 31 décembre 1975, reconnu à l’entreprise qui n’a pu intervenir avec agrément de ses conditions de paiement et n’a pu obtenir la garantie d’une caution.
Faisant œuvre d’une véritable construction prétorienne, la haute juridiction vient renforcer et élargir les obligations du Maître d’ouvrage. Elle y procède avec rigueur puisqu’elle prononce cassation partielle au sujet des appels en garantie qui avaient été formulés par les Maîtres d’Ouvrage à l’égard des entreprises générales et qui avaient été accueillis par la Cour d’appel de Paris.
De ce chef, la faute de la maitrise d’ouvrage lui est exclusivement imputable.
Point de salut ni de partage de responsabilité avec l’entreprise générale …
Du côté des sous-traitants, certains pourront prêter à cette décision, une prime au traitement du déchet, une procédure d’agrément de sous-traitant sui generis, l’ersatz de l’action directe que notre Cour aura voulu accorder aux filières qui se montrent soucieuses de l’empreinte environnementale, au service de la reconstitution des écosystèmes.
Du point de vue de la maitrise d’ouvrage, d’autres y trouverons symétriquement une rigueur affirmée à l’endroit des Maître d’ouvrage, encourageant leur conduite écoresponsable tant et si bien qu’qu’ils resteraient gestionnaires de leurs déblais non pas jusqu’à leur élimination finale mais au-delà, jusqu’au paiement effectif des prestations réalisées à cette fin par l’exutoire finale.
Pourrions-nous en conclure que le paiement d’un tel sous-traitant par le Maître d’ouvrage aurait une vertu doublement libératoire pour le propriétaire de ces déchets ?
Quasi absolutoire ?
Le Conseil d’Etat semble lui aussi s’inscrire dans cette fermeté, rappelant que les déblais résultant de travaux réalisés constituent des déchets dès leur sortie du site, qu’ils soient pollués ou non, et doivent être gérés en tant que tels jusqu’à leur élimination finale (Conseil d’État 29 juin 2020 n° 425514, mentionné aux tables du recueil Lebon).
Nul doute qu’au regard de son intérêt normatif, la décision commentée est promise à une large diffusion et les opérateurs économiques avisés devront désormais tirer toute conséquence pour adapter leurs pratiques.