Il est fréquent, pour ne pas dire systématique, que dans un crédit-bail mobilier ou de location-financière, figure une clause prévoyant le versement de certaines sommes pour régler la fin de la relation contractuelle entre les parties, et notamment en cas d’inexécution par le crédit-preneur ou le locataire de ses obligations.
Lorsque ce dernier cesse de s’acquitter des loyers, notamment lorsque le prestataire ne remplit plus ses obligations contractuelles, le contrat de financement est résilié à la demande du bailleur qui sollicite le remboursement des loyers impayés et l’application de la clause visant l’indemnité de rupture anticipée à la charge du preneur.
Ces contrats de financement de longue durée étant généralement conclu pour une durée ferme et définitive d’au moins 21 trimestres, renouvelables par tacite reconduction, il en résulte que l’indemnité est constituée du reliquat des loyers restant dus jusqu’à la fin de la période contractuelle, majorée de 10 %.
Coquette somme mise à la charge du preneur, alors qu’il souvent privé de l’usage du bien !
Cette clause peut-elle être requalifiée de clause pénale par le juge pour ouvrir droit au pouvoir modérateur du juge par application de l’article 1152 du Code civil ?
Une clause pénale est une clause par laquelle les parties à un contrat conviennent qu’en cas d’inexécution de ses obligations par l’une d’elle, celle-ci sera tenue de régler à l’autre une somme forfaitaire en indemnisation du préjudice subi par cette dernière.
Cette clause ne nécessite pas d’être formulée conventionnellement par les parties pour recevoir application, les juges pouvant qualifier de clause pénale une stipulation non expressément nommée comme telle par les parties.
La solution n’est pas nouvelle (Cass. com., 10 juill. 1962; Cass. 1re civ., 9 mars 1977…).
Si la clause prend la forme d’une sanction forfaitaire, visant à compenser le préjudice subi par le crédit bailleur et donc visant à contraindre le crédit-preneur à respecter les termes du contrat, alors elle s’analyse incontestablement comme une clause pénale.
En effet, le cas échéant, la clause de résiliation anticipée du contrat n’est pas assimilable au droit de chacune des parties de mettre fin à tout moment au contrat, mais vise une résiliation prononcée en violation du terme prévu au contrat.
En conséquence l’indemnité prévue pour réparer le préjudice causé par cette résiliation anticipée s’analyse comme une clause pénale.
C’est ainsi, que la jurisprudence a depuis fort longtemps considéré que constitue une clause pénale, la clause qui met à la charge du débiteur la totalité des loyers à échoir au jour de la résiliation (Cass. com., 22 févr. 1977, Bull. civ. IV, no 58 ; Cass. com., 5 juill. 1994, Bull. civ. IV, no 253).
Forte de cette qualification, la Cour de Cassation a donc conclu que l’indemnité de résiliation prévue dans des contrats de crédit-bail devait être révisée sur le fondement de l’article 1152 du Code Civil :
« la majoration des charges financières pesant sur le débiteur, résultant de l’anticipation de l’exigibilité des loyers dès la date de la résiliation, a été stipulée à la fois comme un moyen de le contraindre à l’exécution et comme l’évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le crédit bailleur du fait de l’accroissement de ses frais et risques à cause de l’interruption des paiements prévus, et qu’elle constitue ainsi une clause pénale susceptible de modération en cas d’excès » (Cass. Com. 30 novembre 2010 n° de pourvoi: 09-15980).
Il faut toutefois indiquer que toutes les sommes dues par un cocontractant du fait de la rupture d’un contrat, ne méritent pas la qualification de clause pénale et ne sont pas, de fait, soumise au pouvoir modérateur du juge :
- C’est le cas de la clause dédit qui ne sanctionne pas une inexécution mais, à l’inverse, autorise l’une des parties à se défaire du contrat.
- De même, l’indemnité de jouissance doit être distinguée, dans certains cas, de la clause pénale :
Un contrat de location financière de matériel informatique prévoyait qu’en cas de retard dans la restitution du matériel à l’expiration du terme contractuel, le locataire devrait payer au bailleur une indemnité de jouissance calculée sur la base du loyer contractuel, pro rata temporis.
Le bailleur soutenait, pour échapper au pouvoir modérateur du Juge que la stipulation litigieuse avait pour seul objet de compenser la jouissance de ce matériel par le locataire au-delà du délai dans lequel il devait être restitué.
La Haute juridiction a en revanche considéré que « même si pour partie, l’indemnité de jouissance prévue par le contrat représente pour le bailleur une contrepartie du service dont le locataire continue de bénéficier après le terme de la location en conservant les matériels loués, cette indemnité vise également à contraindre le locataire à restituer le matériel loué ».
C’est donc parce qu’elle « constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice résultant pour le bailleur de l’inexécution, qui s’applique du seul fait de celle-ci », qu’il s’agit d’une clause pénale (Cass. Com. 14 juin 2016 n °15-12.734).
- La distinction avec l’indemnité de fin de contratd’un contrat de franchise a également été soulevée et tranchée par la négative, dès lors qu’elle était due dans tous les cas de fin de contrat et ne constituait donc pas la sanction contractuelle d’un manquement d’une partie à ses obligations.
Au cas particulier, l’indemnité forfaitaire de fin de contrat de franchise prévue au bénéfice du prestataire en cas de résiliation anticipée était due en contrepartie des investissements que le prestataire avait réalisés et pour lui permettre de rechercher un nouveau client. Elle n’avait donc pas pour but de contraindre à l’exécution du contrat et ne pouvait pas être assimilée à une clause pénale (CA Paris 24 novembre 2015 n° 14/17322).
En conclusion, la qualification de la clause d’indemnité de résiliation anticipée des contrats de longue durée en clause pénale, est subordonnée au constat que la clause vise, ne fût-ce qu’à titre accessoire, à contraindre le locataire à s’exécuter tant elle est prohibitive.
Il en résulte que la clause qui prévoit une indemnité de résiliation égale à la totalité des loyers restant à courir, majorés des loyers échus impayés et des intérêts à dater du jour de la résiliation est donc forcément une clause pénale.
En la matière c’est bien la fonction éminemment comminatoire de ladite clause qui emporte sa requalification.
S’agissant des biens à obsolescence rapide comme les ordinateurs, les photocopieurs, le matériel de vidéo-surveillance, le matériel médical ou même les voitures, tant l’indemnité de résiliation anticipée que l’indemnité de jouissance post-contractuelle, dès lors qu’elle est fixée au même montant que le loyer contractuel, doit être requalifiée de clause pénale pour se voir appliquer le pouvoir modérateur du Juge.
Enfin, on notera avec intérêt que la jurisprudence constante, applicable à la qualification de la clause de rupture anticipée des contrats de financement longue durée en clause pénale, a vocation à être maintenue pour les contrats qui seront conclus à compter du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
L’article 1231-5 du Code civil reprend substantiellement les termes de notre historique article 1152, ouvrant droit au pouvoir modérateur du Juge !
Sabine VACRATE
Avocat
17 avenue du Général de Gaulle
94160 Saint-Mandé
01 43 28 77 07
sabine.vacrate@sabinevacrate.com