LA BANQUE NE DOIT PAS SE TROMPER DE SUJET
Lorsque, suite à la procédure collective ouverte à l’encontre de sa société, la caution dirigeante qui est assignée en paiement par la banque, se défend sur le terrain de la disproportion de son engagement, le créancier poursuivant ne doit pas se tromper de sujet.
Il est souvent tenté d’exciper des revenus escomptés de l’opération garantie pour déjouer la démonstration de la disproportion. La banque se retranche alors derrière les bilans de la débitrice principale, ou les perspectives que l’opération projetée, permettaient raisonnablement d’envisager.
En 2012, la chambre civile de la Cour de cassation affirmait ainsi que « les résultats escomptés de la société étaient suffisants pour assurer le remboursement de l’emprunt cautionné » (Cass. Civ ; 1ère 4 mai 2012n°11-11.461).
Dans trois arrêts du 4 octobre 2012, la Cour d’appel de Lyon (n°11/0443, 11/02319, 11/02320), considérait également que la faculté contributive du dirigeant au moment de l’octroi de la caution peut être appréciée notamment au regard des perspectives de développement de l’entreprise cautionnée.
Mais au vrai, de qui parle-t-on dans le débat de la disproportion ?
Est-ce de la solvabilité de l’emprunteur ou de la caution dont il s’agit ?
Les banques ont parfois tendance à confondre les deux sujets, ce qui est d’autant plus embarrassant que le recours à la caution ne se justifie que dans l’hypothèse de la défaillance du débiteur principal.
Si on n’actionne pas une caution lorsque la société est in bonis, symétriquement et réciproquement, on ne s’en rapporte pas aux éventuels bénéfices dégagés par l’emprunteur lorsqu’il s’agit de justifier de la proportion du patrimoine et des revenus de la caution avec le montant de l’engagement souscrit, puisque par définition la garantie ne sera activée que par la défaillance de l’emprunteur.
Cette logique imparable, qui résulte autant du caractère accessoire du cautionnement que de la séparation des patrimoines de la caution et de la société garantie, a été rappelée utilement par la chambre commerciale, opérant un heureux revirement.
Le 4 juin 2013, la Cour de cassation a donc prononcé la déchéance d’un cautionnement bancaire en raison de sa disproportion car « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie » (Cass. Com., 4 juin 2013, n° de pourvoi: 12-15518).
Ainsi, l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de la caution par rapport à ses biens et revenus, ne peut pas tenir compte des bénéfices réalisés ou probables, résultant de l’opération garantie. Elle doit être uniquement fondée sur l’analyse des seuls revenus et patrimoine de la caution, personne physique.
On ne peut que se féliciter de ce louable revirement mais qui n’est pas tout à fait complet, la Haute Cour n’a pas officiellement achevé son raisonnement à propos de la prise en compte de la valeur des parts sociales de la caution, alors qu’elle résulte de la même logique.
Les parts sociales détenues par la caution dans la société emprunteuse ne peuvent manifestement pas être considérées à la date de souscription du cautionnement, comme une garantie potentielle, couvrant le prêteur en cas de défaillance du débiteur principal puisque leur valeur résulte directement de la santé de ce dernier.
Or, quelle est la valeur de la société emprunteuse lorsqu’elle est placée en redressement ou en liquidation judiciaire ?
Les parts d’une société commerciale perdent toute valeur lorsque celle-ci se trouve en état de cessation des paiements, ce qui est le cas lorsque le créancier est amené à faire jouer le cautionnement donné pour garantir les engagements du débiteur.
Les parts sociales étant totalement dépendantes de l’activité de la société défaillante, la survenance d’une liquidation judiciaire ne peut qu’entraîner la disparition pure et simple des titres sociaux détenus par la caution.
Le créancier poursuivant n’a pas pu raisonnablement compter sur leur valeur au moment de la souscription du cautionnement alors qu’elle s’en trouve automatiquement nulle au moment de l’appel de la garantie.
Si la Haute Cour n’a pas formulé ce constat aussi expressément que pour les bénéfices escomptés de l’opération garantie, c’est qu’elle a sans nul doute estimé qu’il n’était point utile d’affirmer ce qui va de soi.
Sabine VACRATE
Avocat
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